Conduire ou accompagner le changement, faut-il choisir ?

Aurore Jung

Certains font de la conduite du changement d’autres accompagnent le changement. Pourquoi utilise-t-on plusieurs termes pour parler en français du “change management”? Est-ce juste une variété dans le langage ou cela reflète-t-il des façons de faire, des réponses différentes à des besoins différents? Ces deux termes nous permettraient-ils de réfléchir sur la stratégie à déployer vis-à-vis des changements qui se produisent dans nos entreprises?

Pour commencer, voici la distinction qui se fait dans certaines entreprises entre les termes “conduire” le changement et “accompagner” le changement : bien souvent conduire fait référence à des méthodes et des outils (c’est l’aspect méthodologique), alors qu’accompagner fait référence à une prise en compte plus réelle de l’aspect humain, avec ses inquiétudes, ses résistances, ses peurs, … C’est un premier niveau de prise en considération de la facette humaine, facette prépondérante et indispensable à prendre en compte dans le changement, et l’on réalise ainsi qu’au travail (comme ailleurs) nous ne sommes pas que des cerveaux, que nos émotions et nos ressentis sont également là (que nous le voulions ou non).

Ces deux aspects du changement (conduire avec la méthode et accompagner l’humain) ont d’ailleurs bien été pris en considération par un certain nombre de formations puisqu’elles ne traitent pas uniquement des méthodes. Les formations présentent souvent un certain nombre d’outils qui permettent de conduire le changement (la cartographie des acteurs, les familles de résistances, le plan de communication,…). Assez souvent elles permettent d’appréhender et de s’exercer également à différentes méthodes liées aux relations interpersonnelles, à l’humain (gérer les conflits avec la CNV ou le DESC, négocier gagnant / gagnant, …). Aujourd’hui quelques-unes abordent aussi, bien que trop rarement à mon avis, l’aspect comportemental de ceux qui accompagnent, en développant leur assertivité ou leur capacité d’écoute. Certes ces formations, surtout celles liées à l’aspect comportemental, ne font pas tout et il va être indispensable de pratiquer et pratiquer encore, si possible en échangeant avec des collègues, son responsable, un mentor ou un coach pour mieux ancrer ces modes de fonctionnement.

Une première conclusion pourrait donc être qu’il y a bien une différence entre les deux termes, la conduite étant plutôt focalisée sur les outils pour avancer, l’accompagnement prenant plus en considération l’humain. Les deux sont nécessaires pour avancer lorsqu’il y a un changement.

 

Mais prendre en compte l’humain, accompagner, cela s’arrête-t-il à ce niveau?

Pour avancer sur cette question, j’ai envie de revenir à l’étymologie des mots:

Conduire : ce terme est composé de cum et de ducere, mener avec, mener ensemble, diriger; ce terme valorise l’idée “d’orientation” aux dépens de celle “d’accompagnement” (*1).

Nous savons bien que celui qui conduit, le conducteur, le pilote, est actif dans le sens où il emmène les personnes vers une destination (même si ce conducteur n’a pas toujours choisi lui-même cette destination). Il met en œuvre les moyens pour atteindre son objectif… et je pense que là nous rejoignons bien la notion de conduire le changement, … voire même le conducteur fait attention à ses passagers, … et alors nous commençons à parler de la prise en compte de l’aspect humain.

Accompagner : ce terme vient de l’ancien français compain, le “compagnon”, lui-même composé de cum (avec) et panis (pain), celui avec qui on partage le pain, celui qui vit et partage ses activités avec qqn; accompagner signifie “prendre pour compagnon”, “se joindre à (qqn)” (*1).

En revenant à ce terme “compagnon”, on sent qu’il s’agit d’être aux côtés d’une personne, de passer du temps avec elle, d’être simplement là, plutôt que d’avancer vers quelque chose.

Nous disons que nous faisons de “l’accompagnement du changement” et nous disons rarement que nous accompagnons les gens dans le changement. Je crois que c’est bien réel, que nous sommes en effet plus les compagnons du changement, que les compagnons des personnes avec qui nous travaillons. Étrange non, est-ce bien cela que nous voulions lorsque nous disions que nous prenions en considération l’aspect humain?

Certains vont me dire que nous accompagnons les personnes mais je crois que dans la plupart des cas (voire la quasi-totalité),  nous sommes bien loin du sens original : sommes-nous capable d’être au côté de ceux que nous accompagnons sans vouloir les faire avancer? Sommes-nous capable d’être juste là, d’échanger avec eux, de partager leur quotidien, de les écouter simplement? Finalement, pour aller plus loin dans la prise en compte de l’humain il faudrait en faire moins et uniquement “être là” (si je puis m’exprimer ainsi).

Mais notre objectif, celui de l’entreprise ne nous pousse-t-il pas à vouloir faire avancer ces personnes plus vite qu’elles ne le souhaitent ou ne le peuvent? Et d’ailleurs notre objectif est-il d’être un compagnon, pouvons-nous prendre le temps nécessaire à cela, ou notre objectif compréhensible est-il d’avancer?

Alors est-ce que nous voulons vraiment accompagner les personnes? Finalement pour savoir ce que nous souhaitons vis-à-vis de l’accompagnement, peut-être devrions-nous revenir à notre besoin initial et nous poser les questions suivantes : quel est mon objectif et quelles sont les raisons pour lesquelles mon entreprise souhaite accompagner les changements, quels sont nos moyens et quel est notre contexte? Est-ce pour avoir un livrable, un résultat un produit, qui soit le plus rapidement utile, utilisable, utilisé? Est-ce pour garder un niveau de performance le plus élevé possible? … Si je vais sur le versant de l’humain, est-ce pour faire en sorte que les personnes vivent mieux le changement (mais je crois qu’il ne faut pas se leurrer et que cet objectif ne peut être le seul)? Est-ce pour un projet précis ou pour un ensemble de projets?

 

Alors est-ce que nous souhaitons accompagner le changement ou accompagner les personnes dans le(s) changement(s)?

Pour continuer je vais limiter les personnes dont je parle au périmètre des salariés de l’entreprise (bien que pour un certain nombre de changements, les parties prenantes à accompagner se trouvent aussi en dehors de l’entreprise).

Je crois que cette question “accompagner le changement ou accompagner les personnes dans le(s) changement(s)?” peut être vue comme un changement de paradigme : en effet, si au lieu d’accompagner le changement, les entreprises accompagnaient leurs collaborateurs (sur le chemin des changements)? Si elles faisaient en sorte d’accompagner leurs salariés non pas par rapport à un projet, un changement particulier, mais dans le temps pour que les salariés puissent appréhender au mieux les multiples changements qu’ils rencontrent au quotidien et que ceux-ci deviennent moins perturbateurs?

Cet état d’esprit se retrouve dans certaines directions de la transformation ou de la conduite du changement : on ne parle plus de gérer un changement après l’autre mais de gérer le fait d’être dans des changements permanents. Et si une des missions de ces directions, était d’être au côté des managers et des autres salariés pour développer leurs compétences, pour leur permettre de mieux appréhender les changements qui arrivent en cascade (sans forcément savoir lesquels vont arriver)? Les compétences qu’il serait utile de développer sont par exemple : reconnaître ses propres inquiétudes, les nommer, écouter (pratiquer l’écoute active), respecter les autres, être dans la bienveillance, être force de proposition, coopérer, anticiper, être responsable, développer la confiance, …

Et si cet accompagnement, cette montée en compétence se déroulait véritablement dans le temps, s’il permettait d’avoir des compagnons de route avec qui partager des moments, cela pourrait avoir des effets multiples :

  • permettre aux managers et par effet ricochet aux membres de leurs équipes de mieux appréhender les changements nombreux et incessants qui les impactent;
  • sortir de son isolement et être plus performant dans son quotidien grâce aux compétences développées, et ceci sans stress ni horaires supplémentaires.

Ainsi la stratégie à déployer vis-à-vis des changements ne devrait-elle pas changer? Si elle accompagnait les personnes dans la durée (et non seulement un changement particulier) elle aurait comme conséquence supplémentaire d’être un réel levier de performance pour les entreprises.

Et vous, quelle est votre vision de la conduite et de l’accompagnement du changement?

Si vous souhaitez allez plus loin et échanger sur ce sujet, je vous propose de me contacter (www.linkedin.com/in/aurorejung).

(*1) Issu du Dictionnaire Historique de la langue française, élaboré sous la direction d’A. Rey.

 

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Article très intéressant Aurore ! Merci pour cette analyse qui fait écho !