Priorisez ; mais assurez-vous que vos équipes ont la capacité à faire !

Stéphane

Comment résoudre l’embolie de mon organisation projet ?   

Organiser, prioriser et comprendre les critères selon lesquels un projet est plus important qu’un autre est souvent la clé pour désengorger les organisations et fluidifier la livraison des projets.

Récemment, nous sommes intervenus dans une organisation où le backlog comptait plus de 300 projets. Plus des 2/3 d’entre eux étaient actifs, parfois démarrés depuis plusieurs années, certains étant même attendus depuis plus d’1 an.

Sans hiérarchisation rationnelle et clairement partagée, certaines équipes consacraient de l’énergie à des projets sans grande valeur ou décorrélés de la stratégie de l’entreprise, alors que d’autres projets intéressants n’avançaient pas.

Les équipes n’avaient aucun argument pour refuser de démarrer de nouveaux projets soumis par les commanditaires. En particulier, elles ne savaient pas nécessairement dire si elles pouvaient ou non absorber cette surcharge ou plutôt si elles pouvaient s’engager sur les dates de livraison escomptées. Paradoxalement, prendre en charge plus de projets peut être vu comme une façon de contenter tout le monde, ainsi qu’une preuve de compétence et d’engagement qui sert les intérêts de l’organisation et de ses membres aux yeux de l’entreprise.

Résultat, les équipes croulent sous la charge, prennent du retard, transigent sur la qualité ou les attendus et compensent en travaillant beaucoup plus, soir et week-end.

Notre intervention visait à donner de la visibilité sur la capacité ou l’incapacité d’accepter de nouveaux projets et à aider à établir l’ordre de priorité des projets existants.

 

Prioriser par le retour sur investissement

Pour répondre à cette problématique, nous nous sommes inspirés du WSJF ou « Weighted Shortest Job First » du framework SAFe. L’idée du WSJF est de fournir un outil factuel permettant d’établir une hiérarchie des projets basée sur la valeur qu’un projet peut générer, rapportée à l’effort nécessaire (i.e. le retour sur investissement).

 

Le calcul de la valeur prend en compte trois paramètres importants :

  • L’aspect financier : le projet permet d’économiser ou rapporter de l’argent,
  • La réduction des risques et création d’opportunités dans le futur,
  • La criticité dans le temps, c’est-à-dire le risque de dépréciation dans le temps.

Notre approche a consisté à ajouter d’autres dimensions pour mieux coller à la stratégie de l’entreprise selon les exigences spécifiques de l’organisation. Et chaque dimension a été assortie d’un « poids » qui permet de lui donner plus ou moins d’importance par rapport aux autres ; par exemple, l’accroissement du chiffre d’affaire est probablement plus important que l’alignement culturel au sein du groupe.

De même, nous avons enrichi la notion de coût, au dénominateur du calcul du WSJF, en séparant la charge de réalisation (équipes internes) de l’investissement financier (construction d’implantations industrielles, achat de machines-outils et de licences logicielles, achat de prestations intellectuelles dont le développement logiciel externalisé…). Nous y avons ajouté également le nombre de compétences (i.e. d’entités organisationnelles) à coordonner pour réaliser le projet.

La priorité est ainsi calculée en fonction du retour sur investissement, i.e. le ratio valeur / coût et permet de comparer des projets de natures très variées (industriel / logiciel / conduite du changement…) et de tailles également très disparates (de quelque dizaines de milliers à plusieurs dizaines de millions d’euros).

Il en résulte un ordonnancement des projets par ordre de priorité. Les projets présentant un meilleur retour sur investissement deviennent prioritaires.

Cet ordre peut être amené à évoluer car la valeur et le coût ne sont pas figés dans le temps. Plus le projet est proche de son achèvement, plus le coût résiduel est faible. A valeur promise constante, il devient toujours plus intéressant de finaliser un projet proche d’aboutir que de l’arrêter pour en démarrer un autre. Cela revient à ne pas considérer ce qui a déjà été dépensé (les « sunk costs ») mais ce qu’il reste à investir pour obtenir la valeur. Cette réévaluation régulière a permis de réduire la réticence à arrêter et redémarrer des projets au gré de l’arrivée de nouvelles initiatives à la promesse de valeur alléchante.

 

Capacité à faire

Gérer la priorité ne suffit pas. Il faut que les équipes aient la capacité de faire. Nous ne sommes pas là dans des feature teams pluridisciplinaires capables de prendre en charge des projets de bout en bout. L’organisation est structurée en silos de compétences spécifiques (fabrication industrielle, développement logiciel, chaîne logistique, légal, finances…). Et certaines de ces compétences peuvent s’avérer rares et devenir des goulets d’étranglement pour certains projets.

Nous avons ainsi mis en place un tableau des disponibilités dans les différents centres de compétences, calculée sur la base des jours ouvrés auxquels on soustrait les indisponibilités structurelle (temps partiel, congés, activités récurrentes de support ou de management hiérarchique, formations). Tout le reste de la bande passante des équipes peut ensuite être affectée à n’importe quel projet. C’est l’équipe de pilotage du portefeuille qui arbitre les priorités, et plus les centres de compétences qui décident par eux-même de ce sur quoi ils vont travailler.

Chaque chef de projet exprime ainsi mensuellement ses besoins sur son projet vis-à-vis de chacune des compétences clés pour être en capacité de livrer un incrément de valeur cohérent. Les centres de compétence sont ensuite mobilisés par ordre de priorité des projets, et à concurrence de leur disponibilité évoquée précédemment.

Se pose alors la question de continuer à faire travailler certaines équipes sur un projet, s’il manque des compétences par ailleurs et qu’il devient impossible de livrer un incrément de valeur à la fin de la prochaine période (disons 1 mois). Peut-être vaut-il mieux suspendre le projet, libérer toutes les ressources qui pouvaient y contribuer pour les reverser sur le prochain projet, certes moins prioritaire, mais qui pourrait livrer un incrément de valeur à la fin de la prochaine période.

Plutôt que de mettre en suspens un projet pendant un mois au prétexte que toutes les compétences ne sont pas totalement disponibles, le chef de projet peut aussi revoir ses ambitions pour la prochaine période et réduire la charge attendue de la part des ressources bloquantes.

Cette approche est assortie d’une injonction à ce que tout projet soit priorisé dans le backlog. Auparavant, beaucoup d’équipes annonçaient être indisponibles simplement parce qu’elles étaient mobilisées sur des projets démarrés mais peu prioritaires. L’organisation a maintenant le moyen d’apprécier sa capacité à prendre en charge ou non un nouveau projet et à aboutir dans les temps.

 

Conclusion

 Lorsque les demandes s’accumulent et sont acceptées sans discernement, l’organisation subit une embolie de son flux de projets. Les équipes passent leur temps à passer d’un projet à l’autre, consacrant plus de temps à expliquer pourquoi ça n’avance pas qu’à produire. Pour réguler le flux, il convient de prioriser les projets du portefeuille en fonction du retour sur investissement, i.e. en calculant le ratio entre les multiples aspects de la Valeur et les différents éléments de coût.

Il est alors possible de coupler cet ordonnancement avec la capacité à faire des équipes pour matérialiser les goulets d’étranglement. On donne ainsi toutes leurs chances de livrer rapidement de la valeur aux projets les plus prioritaires. En s’autorisant à suspendre les projets qui font face à des goulets d’étranglement, on permet à d’autres d’avancer utilement.

Mais pour cela, il faut que 100% des demandes passent par cette priorisation du portefeuille et que la décision d’avancer sur un projet ne soit plus seulement l’apanage des équipes mais du gestionnaire de ce portefeuille.

 

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